Il était une fois, “Wonderland” par Kirsty Mitchell

Difficile de ne pas tomber sous le charme de la série Wonderland de Kirsty Mitchell. Mis en scènes dans des paysages enchanteurs réels, les clichés de Kirsty sont dignes d'un conte de fées.

Nous avons posé quelques questions à Kirsty sur ses décors. Ses réponses se sont avérées à la fois approfondies et étonnamment candides. Ci-dessous, elle partage avec nous l'envers du décor, le processus laborieux, et la raison très personnelle pour laquelle elle a créé ce pays des merveilles…


Peux-tu nous parler un peu de toi ?
J'habite dans un petit village entouré de belles forêts anciennes, dans la région du Surrey en Angleterre. C'est près de Londres, mais on a parfois l'impression d'en être vraiment loin, ce qui me va très bien. Je partage ma vie entre ces deux endroits, j'ai une identité en tant que photographe, l'autre en tant que styliste. J'ai passé ma vie dans le secteur créatif, et j'en ai étudié de nombreux aspects. J'ai commencé en tant que costumière pour le film et le théâtre, avant d'obtenir un diplôme de design de mode en 2001.

Après près de dix ans dans le secteur de la mode, ma passion pour la photographie m'a submergée, et j'essaie maintenant d'associer toutes mes expériences pour en faire un grand melting-pot.

Le résultat est une collection de photographies d'art, pour lesquelles j'ai tout conçu moi-même. Je ne travaille avec aucun styliste, tout est créé à la main, souvent à partir de matériaux très simples. Je ne photographie qu'à la lumière naturelle, et sur place – je refuse de recréer mes décors en studio ! J'ai une poignée d'amis et de bénévoles qui m'aident avec les accessoires et les décors lorsqu'ils ont le temps. Je ne travaille qu'avec une amie très chère – la coiffeuse et maquilleuse Elbie Van Eeden. Elle travaille à mes côtés pour finir de réaliser les créations des personnages de la série. Elle passe également des heures à m'aider à fabriquer les accessoires, cela nous vaut quelques nuits blanches !


Ton imagerie est très lumineuse et colorée. Combien de temps et d'efforts sont nécessaires à la préparation de chaque image ? 
Je passe énormément de temps à préparer chaque cliché. Parfois, cela peut prendre jusqu'à un mois, et nous courons toujours contre la montre, puisqu'une grande partie de nos scènes reposent sur une météo extrême (les scènes dans la neige, par exemple), ou sur l'apparence de certaines fleurs au printemps, visibles pendant très peu de temps. Parfois, ces fleurs apparaissent toutes en même temps, et je me retrouve à tenter de planifier trois idées différentes, à photographier dans la même semaine. Un exemple ? Les photos “Storyteller” avec les jacinthes des bois, et les rhododendrons pour “Saints”. J'ai mis 6 semaines à me préparer pour une seule journée à courir entre les deux lieux. Après seulement une semaine, toutes les fleurs de ces deux endroits avaient fané, comme si elles n'avaient jamais existé. Je trouve les cycles de la nature extraordinaires.

En ce qui concerne les couleurs, je les prends très au sérieux. Je crée tous les accessoires à partir de matériaux de base, je teins souvent les tissus pour les vêtements, afin qu'ils soient exactement de la même couleur que les fleurs qui les encadreront. Je mets vraiment ma formation de costumière à profit, ce sens du détail est normal dans cette industrie, et c'est ce dont j'ai besoin. Cela signifie que j'ai toujours l'équilibre des couleurs sous contrôle, et je n'ai pas à faire de compromis. Je passe un temps fou dans mon magasin de bricolage, à comparer la couleur d'un bouquet de fleurs à celle d'une peinture en bombe, avant de donner des pétales à Elbie pour qu'elle puisse faire ses mélanges de rouge à lèvre et de fards à la paupière de la même teinte.

Alors oui, la couleur est cruciale… je n'ai pas envie de la truquer sur Photoshop, je la prends très au sérieux !


De qui/ quoi as-tu tiré ton inspiration pour Wonderland?
Cette question est tellement importante; je la redoute souvent pendant les interviews, parce que la réponse est difficile, elle touche aux émotions et elle n'est pas évidente. Je crois que pour vraiment comprendre, le public devrait aller sur mon site, et lire la section “About Wonderland”, ainsi que ma biographie et certains des articles que j'ai écrit. En résumé, Wonderland est un hommage à ma mère qui est décédée tragiquement en Novembre 2008. Elle était ma meilleure amie. Elle est morte d'une tumeur au cerveau loin de tous ses amis et sa famille en France, et son enterrement était minuscule. J'ai ressenti ce besoin de faire quelque chose pour rappeler aux gens qui elle était. Quelque chose qui expliquerait ce don qu'elle m'a légué, cette imagination vive et intrépide. Elle était professeure d'anglais, et m'a lu des histoires (ainsi qu'à des centaines d'autres enfants) pendant des années. Elle a instillé une croyance en la beauté et l'émerveillement… et c'est comme ça que je veux qu'on se souvienne d'elle.

Six mois après son décès, j'ai commencé ce projet avec Elbie, que je ne connaissais pas du tout à l'époque. Je voulais créer un livre de contes avec des personnages mystérieux, beaux et étranges, dans leur propre monde magique. Pour être honnête, Wonderland a constitué un prétexte pour échapper à sa mort, autant que pour la célébrer. J'ai énormément souffert de ce deuil, et le projet est devenu ma thérapie. Il a aussi bouleversé ma vie, en m'apportant des expériences que je n'aurais jamais connues en restant assise devant la télé.


Quel genre d'atmosphère recherches-tu ?  Comment diriges-tu tes modèles ?
Mes modèles me sont très chères. La modèle principales pour cette série est Katie Hardwick. Elle est modèle, artiste de cirque, experte en performances aériennes, échassière, et tout un tas d'autres choses formidables. A l'instant où je l'ai vue, j'ai su qu'elle était extraordinaire. La beauté conventionnelle ne m'intéresse pas. Je préfères les visages sans âge, ou les femmes avec du caractère qui se jettent corps et âme dans une idée. Je suis très directe dans ma manière d'exprimer ce que je veux, mais je suis facile à vivre, quand quelque chose ne fonctionne pas comme prévu, je suis la première à en rire.

La plupart des femmes que je photographie trouvent difficile de se débarrasser des poses traditionnelles de l'industrie de la mode. Je suis toujours à la recherche d'une sorte de connexion. Comme pour la photographie de portraits, je recherche un peu plus d'âme, de mystère… pas des moues boudeuses ! J'ai aussi la réputation de mettre mes modèles dans des situations improbables. Elles sont debout en robe dans la neige pendant une heure, pataugent dans des lacs d'eau stagnante… Katie se retrouve presque nue dans des lieux publics régulièrement. Nous avons même dû l'attacher à un arbre la tête en bas, avant de lui jeter de la peinture dessus pour une photo. Je dirais qu'il faut beaucoup d'endurance pour Wonderland !


Où as-tu photographié cette série ?
Toutes les photos ont été prises dans le Sud de l'Angleterre. J'ai bien peur de ne pas pouvoir dévoiler les emplacements exacts. Je reçois constamment des e-mails de photographes me demandant où trouver certains arbres ou lacs. Cela n'est pas très juste. Je passe des heures à chercher ces lieux précieux, et je crois que c'est un élément essentiel de Wonderland. Ces lieux sont magiques, uniques, secrets, et je préfère garder cela intact. La seule chose que je peux dire, c'est que ce sont tous des endroits réels. Je suis choquée de voir qu'autant de personnes pensaient que le champ de lavande était faux, ou que les scènes dans la neige étaient juste un montage. Ma vie serait tellement plus simple si je créais tout cela de toutes pièces sur Photoshop !


Qu'est-ce que tu préfères dans cette série ?
Les souvenirs. Je suis sincère lorsque je dis que travailler sur ce projet a changé ma vie. J'ai certains des clichés encadrés chez moi, chaque jour je passe devant un moment incroyable, figé dans le temps. Je peux m'arrêter pour le regarder, et c'est comme si j'y étais. J'adore m'asseoir sur mon palier, où j'ai accroché Wonderland 21 sur un mur blanc, dans un cadre blanc. Lorsque le soleil l'atteint le matin, c'est comme si la neige s'étendait à l'infini. Tout à coup, je suis là-bas avec mon amie Elbie. A chaque fois que je passe devant, je touche le cadre et lui dis bonjour, car c'était un jour vraiment spécial pour nous deux. Il n'y avait personne d'autre, juste nous, créant quelque chose de fou au beau milieu d'une tempête de neige. Je crois que la meilleure façon de résumer cela est une citation tirée de ma page “A propos” :

‘J'ai marché sur de la neige couverte de fleurs, je me suis tenue dans des lacs au coucher du soleil, j'ai peint des arbres, j'ai mis le feu à des fauteuils, j'ai créé des parapluies fumants, et des perruques géantes à partir de fleurs volées. J'ai ri, je me suis sentie bouleversée, et complètement émerveillée par toutes ces choses qui étaient passées inaperçues jusqu'à présent.”

Je crois que c'est vraiment la meilleure manière pour moi d'expliquer tout cela…


Kirsty Mitchell

Alexia Allard

Alexia Allard est rédactrice collaboratrice pour My Modern Met et traductrice à Londres. On peut souvent la trouver en train de restaurer des meubles anciens, flâner dans les brocantes, ou visiter les monuments historiques anglais.
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